
Ce dimanche 14 décembre 2025, vers 8 h 30, au marché Radem, dans le quartier Hewa, la scène avait l’amertume d’un paradoxe. Au nom d’une opération censée sauver des vies, offrir un avenir, diminuer la criminalité, éloigner les “shegués” des trottoirs et orienter ces jeunes vers le centre de Kaniama-Kasese pour l’apprentissage des métiers, des policiers ont saisi à la volée une dizaine de jeunes sur un critère aussi flou que violent : l’apparence.
Parmi eux, des élèves et des étudiants, envoyés par leurs parents au marché et en partance pour l’église ; un employé d’une entreprise minière, patientant à l’arrêt de bus ; et d’autres passants, coupables d’un seul tort : une coupe de cheveux longue ou un habillement jugé “pas trop propre”. Bref, l’apparence est devenue motif de soupçon ; l’innocence, circonstance aggravante.

Pendant que les vrais foyers de la délinquance juvénile, connus de tous — marché Rail, marché Mzee, centre-ville de Lubumbashi, marché central de la Kenya — continuent d’irradier leurs zones d’ombre, l’opération bifurque vers les lieux faciles, s’acharne sur les silhouettes dociles et tâte les poches. Et, dans le bruit sourd des préparatifs des fêtes de fin d’année, se profile la tentation d’un fond de commerce : où la peur se monnaye en “amendes”, où l’uniforme se brouille avec l’avidité, où la mission sociale se délite en chasse au faciès.
La population s’inquiète, se referme, se révolte en silence. Quelle sécurité prétend-on bâtir quand l’arbitraire devient procédure ? Quand on humilie l’école, le culte, le travail ? Quand on confond jeunesse et délit, pauvreté et culpabilité ? À quoi sert Kaniama-Kasese si le trajet qui y mène se pavane de rackets et d’erreurs judiciaires ? Et qui protégera la confiance publique si ceux qui devraient rassurer fabriquent la frayeur ?
À Lubumbashi, l’heure est grave : il ne s’agit plus seulement d’arrêter des “shegués”, mais de veiller à ne pas arrêter, en chemin, la justice elle-même.
