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Le Grand Katanga : Rompre Avec la Bêtise, les Pactes Brisés et les Rentes de Pouvoir Pour Bâtir un Avenir Durable, Libre des Trahisons Depuis 1960

Depuis 1960, le Grand Katanga traverse une histoire politique marquée par des antagonismes personnels, des coalitions éphémères, des retournements spectaculaires, et une compétition féroce pour l’accès aux leviers de l’État et des ressources. Ce qui s’y joue ne relève pas seulement de querelles d’ego, mais d’un système politique où l’allégeance fluctue au gré des rapports de force nationaux, des injonctions économiques et des influences extérieures. Pourtant, les lignes de fracture katangaises, récurrentes et souvent saignantes, ont fini par façonner une mémoire collective de suspicion, où le mot “trahison” s’est incrusté comme une fatalité, et où la quête d’un langage commun s’évapore à chaque période de l’ histoire.

Au commencement, le tandem impossible entre Moïse TSHOMBE et Jason SENDWE condensa le grand schisme originel. D’un côté, le sécessionnisme de la CONAKAT, arrimé aux intérêts miniers et au spectre d’une autonomie défensive; de l’autre, le fédéralisme populiste de BALUBAKAT, enraciné dans la base sociale luba du Nord-Katanga et favorable à l’intégrité congolaise. TSHOMBE incarna l’État-minier qui se voulait distinct, SENDWE la République indivisible qui ne voulait pas céder. Les alliances furent tranchées par le feu, la diplomatie et l’assassinat politique. Dans ce choc matriciel, la confiance inter-katangaise s’atomisa très tôt et laissa un héritage durable: la politique comme combat de clans, non comme synthèse d’intérêts.

La décennie 1990-1995 réactiva ces lignes. NGUZ a Karl-i-Bond, intellectuel de la transition, joua la partition du compromis avec MOBUTU puis celle de l’ouverture, mais sur un fil. Face à lui, Gabriel KYUNGU WA KUMWANZA, tribun redoutable, cimenta une base sociale bouillonnante en mobilisant contre l’“autre” et en poussant des logiques de refoulement des Kasaiens qui marquèrent la mémoire urbaine de Lubumbashi , Likasi et Kolwezi. Ce fut une période de discours incendiaires, d’alignements opportunistes, et d’oscillations entre Kinshasa et Lubumbashi, où le Katanga se prêta, une fois encore, au rôle de champ de manœuvre du pouvoir central. La rivalité NGUZ–KYUNGU révéla l’art katangais de l’équilibre instable: négocier à Kinshasa, dominer à Lubumbashi, et contenir les colères de la rue sans jamais résoudre les fractures qu’on exploite.

En 1998, l’entrée de Mzee LAURENT-DÉSIRÉ KABILA à Kinshasa reconfigurera brutalement les loyautés. KYUNGU, longtemps figure d’une revendication régionale aux accents tranchés, se retrouva en porte-à-faux face au nouvel ordre issu de l’AFDL. Le Katanga père de la “révolution” n’eut pas pour autant la cohésion; la victoire ne fit pas unité. Derrière les proclamations, chaque bloc cherchait sa rente d’influence. La méfiance règna entre réseaux sécuritaires, politiques et économiques, et la fracture ancienne entre Nord et Sud, villes minières , refit surface dans la cartographie des postes et des faveurs.

Au tournant des années 2000-2005, la relation entre KYUNGU et Moïse KATUMBI illustra la plasticité des alliances. KATUMBI, entrepreneur devenu acteur politique, comprit vite la grammaire katangaise: bâtir un appareil local efficace, parler à la fois le langage des entreprises, des communautés et de Kinshasa, tout en restant mobile. KYUNGU, vétéran du terrain, tenta l’arrimage puis la prise de distance. L’un capitalisait la modernité managériale, l’autre la ferveur militante. Sous la surface, l’enjeu demeurait le même: qui tient l’accès aux ressources minières, au gouvernorat, aux voies logistiques et à la faveur présidentielle? Les coalitions furent pragmatiques, les ruptures, abruptes.

En 2016, le duo KYUNGU–KATUMBI contre Joseph KABILA porta à son paroxysme la personnalisation du conflit politique venu du Katanga. KATUMBI, devenu figure nationale d’opposition, transforma son assise provinciale en plateforme de contestation; KYUNGU, revenu dans le sillage, prêta l’ossature militante et la verve mobilisatrice. Le Katanga, longtemps considéré comme le réservoir loyaliste du kabilisme, se scinda. La bataille symbolique eut lieu à Lubumbashi mais se jouait pour tout le pays: une confrontation entre héritiers de la matrice katangaise, chacun revendiquant la légitimité du “vrai” Katanga, pendant que la population payait en incertitude, en répression et en délitement des services publics.

Aujourd’hui, les tensions entre Dany BANZA, Martin KAZEMBE et Jacques KYABULA rééditent, sous d’autres visages, l’éternel théâtre katangais. Les fidélités s’indexent sur des centres de gravité multiples.
On dit alors que le Grand Katanga serait le maillon faible de la RDC. C’est vrai dans la mesure où sa force économique — mines, douanes, corridors logistiques — a toujours attiré les prédations et encouragé la fragmentation interne: trop d’intérêts, trop de bras invisibles, trop de fronts. Mais c’est aussi une prophétie autoréalisatrice: plus on répète la faiblesse, plus on la produit, en pardonnant la médiocrité stratégique et en normalisant l’inconstance morale. La Fondation katangaise, coquille vide pour beaucoup, cristallise cette impuissance: structure symbole sans architecture de solutions, vitrine de réconciliation sans mécanismes de vérité, ni d’arbitrage, ni de projets mesurables.

Pourtant, réduire l’histoire katangaise à la trahison pure serait manquer l’essentiel: si la trahison revient, c’est qu’il n’existe ni pacte minimal, ni règles respectées, ni coûts politiques à la volte-face. Là où les institutions sont faibles, la loyauté devient transactionnelle. Là où l’économie dépend des rentes, la politique devient courtage. Là où la mémoire n’est jamais apaisée par la justice et la vérité, l’adversaire reste un ennemi latent, et l’“unité” un mot de meeting. La tristesse des rapports politiques katangais n’est pas une fatalité culturelle: c’est la logique froide d’un système.

Il y a pourtant des issues concrètes, moins spectaculaires que les invocations identitaires, mais plus fécondes que les grandes messes sans lendemain. Un pacte inter-katangais pourrait s’articuler autour d’engagements vérifiables: mécanismes de vérité et de mémoire sur les violences politiques des années 1960, 1990 et 2016; charte d’éthique liant les élites au respect de valeurs politiques claires .

L’histoire entre TSHOMBE et SENDWE, entre NGUZ et KYUNGU, entre KYUNGU et Mzee KABILA, entre KYUNGU et KATUMBI, entre le duo KYUNGU–KATUMBI et Joseph KABILA, et jusqu’aux rivalités BANZA–KAZEMBE–KYABULA, raconte moins une malédiction qu’un avertissement: sans institutions robustes, les liens se défont; sans intérêts partagés, les leaders s’isolent; sans mémoire réparée, la suspicion demeure. Le Grand Katanga n’est pas condamné à l’éternel retour de la trahison. Il est condamné à choisir: soit perpétuer la chorégraphie des brouilles utiles, soit construire laborieusement un bien commun qui résiste aux saisons politiques. La grandeur d’une terre ne se mesure pas aux coups qu’elle porte, mais aux pactes qu’elle tient.

Papy NYANGE

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